En ce qui concerne le verbe, nous vous renvoyons, pour plus d'informations,
aux articles de Paul Laurendeau traitant des catégories verbales.
En allemand et en latin il y a deux étapes du point de vue morphologique, la conjugaison et la déclinaison. En français, la partie déclinaison est assurée par la syntaxe et non plus en morphologie.
Les catégories importantes associées au nom (genre, nombre) apparaissent en syntaxe par le biais des déterminants et des adjectifs, alors que les catégories du verbe (temps, aspect, modes...) passent aussi par la morphologie grâce aux conjugaisons.
Ainsi, en français, la seule catégorie ayant maintenu un appareillage perfectionné en morphologie est le verbe.
Clarifions certains termes de la description de la morphologie verbale :
Rappelons qu'il s'agit de marqueurs morphologiques et non de catégories sémantiques.
Catégories marquées par la morphologie verbale |
Catégories de la syntaxe entourant le verbe |
le temps | le nombre |
Le nombre et la personne ne sont pas portés syntaxiquement par le verbe. Sémantiquement, ces catégories sont nominales ou pronominales. S'il y a une marque de pluriel sur le verbe, c'est par un simple phénomène d'accord. Il s'agit d'un écho purement morphologique. Dans :
Les chiens courent.
il y a plusieurs chiens, mais il n'y a qu'une seule course. Le procès est unique.
De même, dans :
Ils arrivent.
à l'oral, c'est le [z] de liaison attaché au pronom qui marque le pluriel.
Par ailleurs, en ce qui concerne la personne, si quelqu'un qui maîtrise mal le français dit :
*Nous mange un gâteau.
il pourra y avoir un doute sur le temps de l'action
mais pas sur la personne, malgré la faute d'accord.
Selon Lucien Tesnière, la voix correspond à la connexion entre un actant et un procès :
(Adjuvant et opposant sont des notions proposées par Algirdas Julien Greimas (1966) dans Sémantique structurale et non par Tesnière)
Pour plus d'informations sur Lucien Tesnière et le schéma actantiel, voir la partie de ce site consacrée à la sémantique de la phrase.
La voix est une catégorie de syntaxe phrastique et
non pas du verbe. Ce qui porte les catégories sémantiques,
c'est la nature de l'agent par rapport au procès. La voix qu'on
appelle aussi diathèse peut être :
À noter que les verbes intransitifs comme dormir ou éternuer ne peuvent pas se mettre à la voix passive, réfléchie ou réciproque car ils ne renvoient pas à un procès impliquant un patient. Selon la théorie de la valence des verbes de Tesnière, ces verbes sont monovalents car il n'ont qu'un seul actant, l'agent du procès.
Les verbes transitifs comme laver, regarder, saluer impliquant deux actants (l'agent et le patient) sont dit bivalents.
Certains verbes impliquant un patient et un bénéficiaire comme donner dans Pierre donne une pomme à Marie sont dit trivalents. Le sujet sera appelé prime actant, l'objet direct second actant et l'objet indirect tiers actant.
Quant aux verbes comme pleuvoir ou falloir qui n'ont ni agent ni patient ni bénéficiaire, ils sont dits avalents, et ils ne peuvent être employés qu'à la voix active.
En français, une certaine confusion provient de ce que le terme temps renvoie à deux réalités distinctes :
TEMPS MORPHO-SYNTAXIQUE |
TEMPS SÉMANTIQUE |
Catégorie morpho-syntaxique liée au syntagme verbal (présent,
passé composé, imparfait, futur simple, futur antérieur...) Les temps employés dans la conjugaison des verbes peuvent renvoyer :
|
La temporalité, autrement dit, le temps dans son
déroulement.
|
Notons qu'il n'y a pas toujours une correspondance terme à terme
entre les deux catégories. Dans un exemple comme :
Napoléon meurt en 1821.
du point de vue morphosyntaxique, il s'agit d'un présent, mais
sémantiquement, on a affaire à un passé.
La temporalité :
En linguistique énonciative, le temps dans son déroulement
est représenté topologiquement comme une ligne droite. Ce
qui précède le moment de l'énonciation (T0)
renvoie au passé, alors que ce qui suit T0 représente
le futur.
Le temps est déictique, c'est-à-dire corrélé aux conditions d'énonciation (je, ici, maintenant). Si on ne connaît pas le moment de l'énonciation, on ne peut pas assigner une valeur à hier ou à demain, d'où le comique dans la situation du barbier qui afficherait :
Demain, on rase gratis.
On ne peut pas plus comprendre une note qui dirait
:
Je suis passé aujourd'hui à 13h, mais tu n'étais pas là.
si on ne connaît pas la date à laquelle
la note a été écrite.
En fait, le passé et le futur n'existent que par rapport au moment
de l'énonciation.
Les valeurs sont extensibles. Selon le contexte, ce qui est marqué comme présent par maintenant peut correspondre au moment de l'énonciation, mais aussi à aujourd'hui, cette semaine, ce mois-ci, cette année, ce siècle... Le présent est une ligne mouvante ; quant au passé et au futur, ils sont perçus comme infinis.
Les valeurs gnomiques ou statives sont représentées sur un vecteur où la panchronie / achronie est marquée par l'absence du point T0.
Du point de vue morphosyntaxique, il est généralement marqué par :
La terre tourne.
L'eau bout à 100°.
(Il s'agit d'une propriété ou
d'un état permanent.)
Eplucher les oignons, les émincer, faire
bouillir de l'eau
Défense de stationner
(L'affirmation reste valide au passé,
au présent et au futur.)
On ne doit pas confondre le temps avec l'ordre des procès :
TEMPS |
ORDRE DES PROCÈS |
hier aujourd'hui demain |
la veille le jour même le lendemain |
Des relations sémantiques découlent de cet ordonnancement :
L'aspect est représenté par un segment de vecteur encadré
par un bornage.
Il s'agit du point de vue sur la durée interne du procès, particulièrement de son déroulement et de ses limites.
L'aspect peut également être marqué par le sémantisme
de la notion lexicale du verbe:
Attention, les verbes achever, terminer, compléter sont perçus comme inchoatifs et non terminatifs. Ils renvoient au commencement d’une nouvelle phase, celle de la fin du procès.
Je termine et j’arrive
J’ai cessé de fumer. / j’ai terminé de fumer.
Il en résulte qu'il sera difficile de dire
:
* dormir soudainement
* éclater lentement
Les logiciens voient la modalité comme une fluctuation entre le
nécessaire, le possible et le probable.
Pour Paul Laurendeau, qui reprend l'idée de fluctuation du réel des logiciens, il existe des modalités objectives et des modalités subjectives, autrement dit liées à l'expérience et aux conditions du monde extérieur ou bien à des critères cognitifs et affectifs internes à l'énonciateur :
ASSERTION |
MODALISATION |
|||||
MODALITÉ |
MODALITÉ |
MODALITÉ |
||||
ontique |
aléthique |
épistémique |
appréciative |
déontique |
volitive |
|
Il fait
12° (assertion stricte) Il fait, selon moi, 12° |
Je dis
qu'il vient. je t'assure qu'il vient. Négation d'une fluctuation, prise en charge, prise en compte. Proche d'une assertion
|
possible, probable, certain
/ incertain . s'appuie sur un étalon extérieur au sujet.
Je vais peut-être visiter cette ville. Il va bien venir.
|
je crois
qu'il vient. je prétends qu'il viendra.
|
Je me réjouis qu'il vienne. | Tu devrais
rendre visite à ta mère.
Jugement de valeur + être et n'être pas dans le monde. |
Je veux
qu'il vienne
Subjectivité (je réclame) + être et n'être pas dans le monde
|
Cette position est assez différente de celle d'Antoine Culioli
qui regroupe les modalités selon le type de commentaire de l'énonciateur
:
Modalité de type 1, dite «assertive» |
Elle porte sur la valeur de vérité,
relation validée ou non.
Elle comprend :
Viens me voir |
Modalité de type 2, dite «épistémique» (regroupement des modalités aléthique et épistémique) |
Elle porte sur le plus ou moins certain,
les domaines du probable, du vraisemblable, du possible, de l'éventuel.
Il se peut que Pierre vienne demain.
|
Modalité de type 3, dite «appréciative» |
Elle porte sur les valeurs de bon/mauvais,
normal/anormal, heureux/malheureux.
Malheureusement, il n'est pas venu. |
Modalité de type 4, dite «intersubjective» ou «radicale» |
Elle comprend le vouloir, les propriétés,
la volonté du sujet de l'énoncé, la pression, la demande
que l'énonciateur fait peser sur le sujet de l'énoncé
et la permission (déontique), les relations sujet/prédicat
à l'intérieur de la relation prédicative et les relations
pragmatiques :
Ce synthétiseur peut imiter
un grand nombre d'instruments de musique. |
Il va de soi que ces catégories ne sont pas étanches, et que la plupart des énoncés relèvent de plusieurs modalités à la fois. Ainsi l'injonction de type :
va t'asseoir !
relève à la fois de la modalité de type 1 et de
la modalité de type 4.
Par ailleurs, la plupart des verbes modaux renvoient à la fois à
la modalité de type 2 et la modalité de type 4, avec une
pondération au profit de l'une ou l'autre. Ainsi un énoncé
comme
Il peut partir demain, s'il le désire.
peut signifier :
Il se peut qu'il parte demain, comme il se peut qu'il ne parte pas.
ou
Il existe des critères matériels ou déontiques permettant au sujet de partir demain.
Du point de vue morphosyntaxique, il n'y a pas de vraie correspondance
entre les modes et les modalités, mais il est
possible d'établir certains liens :
Quant aux modes dits participe et infinitif, ils sont plus liés à l'aspectuel et à l'ordre des procès qu'aux modalités proprement dites.
© Henriette
Gezundhajt,
Départements d'études françaises de l'Université
de Toronto et de l'Université York à Toronto, 1998-2013
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