De la phrase à l'énoncé



I Phrase, proposition et énoncé


PHRASE
(niveau des combinaisons de formes)

PROPOSITION
(niveau sémantique)

ÉNONCÉ
(niveau énonciatif)

Groupe stable (ou stabilisable) de constituants.

La phrase est un phénomène constant et stable qui fournit la signification. Une phrase est construite selon les règles structurales de la syntaxe et selon de critères de grammaticalité.
Paul n'aime pas beaucoup le sport.

Organisation d'une série limitée de notions (souvent actantielles), autour d'un ou de quelques relateurs.

mouton-brouter-alpage

On est au niveau sémantique, celui de la construction d'une référence.

Ancrage d'une unité contextuelle, cursive ou détachée à un autre contexte préconstruit ou à une situation énonciative.

L'énoncé est un phénomène variable lié à l'activité de langage en situation dans un <je-ici-maintenant>. Il est relié à un contexte et il fournit le sens en fonction de la compréhension et de l'interprétation.

Autrement dit c'est un construit de l'énonciateur en fonction de sa situation spacio-temporelle, des co-énonciateurs auxquels ils s'adresse et du message qu'il veut faire passer.

Les énoncés ne sont pas toujours construits en fonction de critères syntaxiques :

Moi, tu sais, le sport…, ouais, bof !

À l'idée de grammaticalité les linguistes de l'énonciation comme Culioli préféreront celui de jugement de recevabilité.

On se distingue de la tradition chomskyenne en ne parlant pas d'universaux du langage mais de phénomènes généralisables.

 

 

 II Subjectivité et objectivité

 

Selon Émile Benveniste, la langue est générée par des activités discursives. 

À l'opposition langue /parole, Benveniste préfère substituer celle de discours / récit.

 

DISCOURS

RÉCIT HISTORIQUE

Le discours est lié à la situation d'énonciation subjective et à la déixis ; certains pronoms comme « je » et « tu » sont susceptibles d'être employés ainsi que certains temps verbaux. Dans le récit, la situation d'énonciation n'est pas prise en compte, l'énonciateur fait comme si les événements se racontaient d'eux-mêmes.
Le passé simple ne sera utilisé que dans des conditions de récit, et les seuls pronoms personnels qui pourront être employés sont : « il », « elle », « ils » et « elles ».

 

 

 

III Pragmatique :

 

C'est la partie de la linguistique qui traite du langage associé à son utilisation et à l'action

  

1. Les actes de parole

 

Le concept d'acte de parole a été proposés par John Langshaw Austin en 1962 et développé par John. R. Searle en 1969, tous deux, philosophes du langage :

ACTE CONSTATIF

ACTE PERFORMATIF

description par un énoncé assertif.

    Il fait beau

Quand dire c'est faire

- actes institués avec un énonciateur investi d'un pouvoir (mariage et baptême par un prêtre, Présidence d'une assemblée...) :

    je te baptise,
    je vous déclare unis par les liens du mariage.
    Je déclare la séance ouverte.

- Affirmation :

    je prétends qu'il ment

- Promesse :

    je te promets de venir



ACTE LOCUTOIRE : production d'un énoncé selon un certain nombre de règles linguistiques.

FORCE ILLOCUTOIRE :
intention de l'énonciateur en ce qui concerne le type d'information contenue dans l'énoncé :
- déclaration,
- promesse,
- interdiction...
EFFET PERLOCUTOIRE effet produit par la production de l'énoncé sur le co-énociateurs ou sur ses actes.

Par exemple, à l'énonciation de :

    Il fait froid ici.

Le co-énonciateur se lève et ferme la fenêtre.


 

2. Les conditions de vérités et la présuposition

Héritée de la pensée logiciste, le fait de se demander si un énoncé est vrai ou faux est particulièrement décrié par les linguistes contemporains.

 À l'énoncé :

considéré comme faux par Bertrand Russell, puisqu'il n'y a pas de roi en France actuellement, on peut répliquer que de par son énonciation l'énonciateur préconstruit un cadre dans lequel cet énoncé est valide. Le problème de savoir si l'information se vérifie effectivement dans le monde n'est pas pertinent en ce qui concerne sa recevabilité.

Ducrot explique que la présupposition tend à régir le discours ultérieur en lui imposant un cadre.

 Par exemple l'énoncé :

présuppose : Juliette faisait de la danse avant.

 

En fait ce qui intéresse Ducrot c'est ce qui relève de l'implicite (ce qu'on dit sans le dire) :

Implications

Métarègles

Du point de vue des réalités du monde, si je dis :

    J'ai oublié mes allumettes.

J'implique que je n'ai pas d'allumettes.

Il s'agit de la loi de l'existence. Si je dis,

    J'ai un éléphant dans ma poche

on sait qu'il ne peut pas s'agir d'un animal vivant.

Présupposés

Sous-entendus

    Jacques continue de fumer

présuppose que Jacques fumait avant

Alain ne déteste pas le vin

sous-entend qu'Alain aime beaucoup le vin.

Les présupposés sont indéniables mais on peut nier avoir fait un sous-entendu.

 


3. Les implicatures

Tout énoncé a une fonction communicative. H. Paul Grice explique qu'il existe un principe de coopération linguistique dont il ne faut violer aucune des maximes pour être cohérent :

 

Maximes de Grice:

1. MAXIME DE QUANTITÉ : Fournissez la quantité d'informations nécessaires, ni plus ni moins.

À la question :

    Y a-t-il une pharmacie dans le coin ?

 On attend une réponse comme :

     Oui, il y en a une à 100m d'ici

mais pas la taille de la pharmacie, son âge ou la couleur de ses portes…

2. MAXIME DE QUALITÉ : Dites ce que vous considérez vrai.
3. MAXIME DE PERTINENCE : Parlez à propos. Restez en relation avec le thème de l'échange.
4. MAXIME DE MANIÈRE Soyez clair et précis. Évitez l'ambiguïté. Soyez méthodique.

  

 III Les opérations énonciatives.

 

Selon Culioli, il existe trois principales opérations de l'activité de langage :

 

REPRÉSENTATIONS
(cognitives)
Chaque notion est en rapport avec des représentations mentales.
RÉFÉRENTIATION
(repérage par rapport au monde)

Construction de propriétés et de valeurs que l’on attribue à des objets du monde en fonction de la situation.
RÉGULATION
(co-énonciation)
Ajustement entre énonciateurs.

Ces opérations se feront selon un repérage de type identification, différentiation ou rupture.



La construction d'un énoncé se produira en trois étapes :

 

NOTION ET DOMAINE NOTIONNEL Une notion est un faisceau de propriétés physico-culturelles (ex. humanité) à partir de laquelle on construira une classe d'occurrence appelé domaine notionnel.
Une occurrence sera appréhendée de façon
:
  •  quantitative

    un livre (parmi d'autres)

ou

  •  qualitative :

en relation avec une valeur typique. Il y aura alors construction d'un gradient (livre<-- ebook<--non livre)

La première étape d'un énoncé consiste à construire une relation primitive entre deux notions, autrement dit, une source et un but relié par un relateur. (ex. <Moi, livre, lire>)

RELATION PRÉDICATIVE Choix du thème et du terme de départ de la relation prédicative. 

    J'ai lu un livre.
    C'est le livre que j'ai lu.
    Le livre, je l'ai bien lu.

PRODUCTION EFFECTIVE DE L'ÉNONCÉ C'est à ce niveau qu'apparaîtront les marques de détermination, de temps, d'aspect et de modalité.

L'énonciateur pourra choisir de valider ou de ne pas valider la relation prédicative contenue dans l'énoncé.

 Par exemple par rapport à la relation <moi, livre, lire>

    J'ai lu un livre
    Je lirai le livre en question.
    Je n'ai pas lu de livre.
    Il se peut que j'ai lu ce livre
    De livre de ce type, moi, je n'en ai pas lu.

Il y a donc un choix effectué par l'énonciateur à partir d'une famille paraphrastique d'énoncés

Pour des informations plus complètes sur la théorie des opérations énonciatives, vous pouvez consulter les divers ouvrages d'Antoine Culioli et de Janine Bouscaren proposés dans la bibliographie.




© Henriette Gezundhajt, Département d'études françaises de l'Université de Toronto, 1998-2018
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